Les Soldats du 18e siècle

Les Soldats du 18e siècle

"Les dents de Waterloo", par LISE ANTUNES SIMOES

Les dents de Waterloo | La vie au XIXe siècle (liseantunessimoes.com)

 

Les bouchers dentistes de l’époque

Des dents arrachées, faute de mieux

Au début du XIXème, l’alimentation des gens est bourrée de sucre. Un aliment qu’on ne trouvait pas avant, en tout cas pas sous la forme du sucre de canne qui est désormais importé en grandes quantité des colonies grâce à l’esclavage. 

 

Brosses à dents du début du XIXème siècle
Brosses à dent des années 1800. 

La conséquence, c’est bien évidemment que, jumelé à une hygiène dentaire insuffisante, tout ce sucre provoque des caries (car même si on utilise couramment des cure-dents et des brosses à dents avec des dentifrices en poudre, leur usage n’est pas toujours systématique, ni efficace).

Alors, comme on ne sait pas faire grand chose d’autre, quand une dent est trop abîmée, on l’arrache. Et on fait ça comme un barbare, en courant le risque, d’enlever une partie d’os, ou même carrément de briser ou disloquer la mâchoire du patient, sans parler des possibilités d’infections si ça ne guérit pas bien ensuite… 

 

 

Et quand on se retrouve avec une bouche à moitié vide ?

Il arrivait souvent que les gens perdent leurs dents relativement tôt, ce qui les faisait paraître beaucoup plus vieux qu’ils ne l’étaient réellement.

Il suffisait qu’une rage de dent vous fasse la misère pour que vous fonciez chez le forgeron du village afin de vous faire extraire la dent en question (tout, pourvu que la douleur s’arrête !). Car, à moins d’être riche et de vivre en ville, vous avez peu de chance de trouvez un dentiste dans les environs, et vous devrez vous contenter du barbier ou du forgeron, qui sont les rares à disposer des pinces adéquates pour ce genre de… euh… soin.

Vous n’aviez pas les moyens de faire soigner cette vilaine dent plus tôt ? Vous avez laissé traîner et empirer ? Si ça peut vous consoler, un vrai dentiste n’aurait pas tellement pu vous aider, puisque le concept de bactéries n’existe pas encore. Lui aussi aurait sorti ses pinces et tout arraché…

Bref ! Au bout de quelques années et quelques passages chez le forgeron/dentiste, vous allez finir amoché(e). Et comme il faut bien continuer à manger et vous rendre agréable aux autres en société, vous voilà candidat(e) pour porter un dentier…

 

Les premiers dentiers

En ce temps-là, faire de la prothèse dentaire, c’est un business où s’essaient pas mal de monde. Des sculpteurs, des orfèvres et bijoutiers, des chimistes, des fabricants de perruques… et même ces fameux forgerons !

Depuis un ou deux siècles, on sculpte de fausses dents dans de l’ivoire, mais le résultat n’est pas satisfaisant. Il est difficile de prendre les bonnes mesures à l’intérieur de la bouche du patient, l’ivoire se tache et jaunit très vite, et puis je n’ose pas imaginer le peu de confort à mettre un truc aussi encombrant dans sa bouche !

Dentier de la fin du XVIIIème ou début du XIXème siècle, fait de dents sculptées dans un bloc d'ivoire

Ça n’a pas l’air bien naturel, tout ça !

En plus ça coûte une petite fortune : environ 100£, soit bien plus cher qu’un cheval de grande race !


Un énorme besoin en dents humaines

Des donneurs pas toujours vivants

Face à ces dentiers sculptés, jaunes, moches et pas naturels, on leur préfère clairement des prothèses faites de dents humaines. D’autant qu’avec les années qui passent et la consommation de sucre qui ne cesse d’augmenter, la demande se fait de plus en plus forte.

Ça fait déjà un moment qu’on sait monter des dents humaines sur des dentiers, sauf qu’on n’a que deux options pour obtenir ces dents. On peut les prélever :

  1. sur des donneurs vivants (vendre ses dents saines, quand on est pauvre, c’est un triste moyen de survivre)
  2. sur des cadavres (mais il faut aller les déterrer, de préférence en pleine nuit pour ne pas se faire choper par les autorités) 

Une troisième option tombée du ciel

Dans ces conditions, quoi de mieux qu’un champ de bataille tout rempli de milliers de jeunes hommes vigoureux, fraîchement tombés pour leur empire !

Imaginez ! Pas besoin de se casser le dos à les déterrer, puisqu’ils ne sont pas encore en terre ! Et pas besoin de monter toute une expédition pour édenter 3 ou 4 macchabées : il y en a à foison, il suffit de se baisser ! Une paire de pinces, quelques heures de boulot, et hop ! Voilà de quoi fournir en dents tous les prothésistes d’Angleterre !

 

Dents de Waterloo, destinées à fabriquer un dentier de vraies dents
Petits paquets de « dents de Waterloo », prêtes à la vente. Vous remarquerez qu’il ne s’agit que des 6 dents d’en avant. Et, bien entendu, un paquet correspond à un seul donneur, car on ne mélange pas les dents entre elles.
Dentier fait en "dents de Waterloo"
Dentier fait en « dents de Waterloo ». Il ne contient que 8 véritables dents, les molaires étant sculptées. Malgré tout, il ressemble sacrément à ce qu’on pourrait trouver aujourd’hui !

MAIS OÙ SONT LES MOLAIRES ? Dans la plupart des cas, les molaires ne sont pas nécessaires. Elles ne servent qu’à mastiquer et ne sont, globalement, pas visibles.

Ça tombe bien, puisque ce sont aussi celles qui sont le plus difficiles à extraire. On ne se casse donc pas la tête et on se contente de prélever les dents de devant…

FRANÇAIS ? ANGLAIS ? PRUSSIENS ? Voilà que je me pose une question : est-ce que les détrousseurs de cadavres se préoccupaient de l’origine des soldats sur lesquels ils se servaient ? Mutilaient-ils de préférence les corps des Français, à titre de vengeance ? Ou bien au contraire ceux des Anglais, afin de fournir à leurs compatriotes des dents 100% britanniques ?

Quelque chose me dit qu’ils devaient s’en foutre éperdument. Quand il y a de l’argent à faire, hein…


En conclusion

Avoir en bouche les dents d’un pauvre bougre qu’on a payé pour ça, c’est déjà moche. Mais avoir en bouche les dents d’un mort qu’on a détroussé sur un champ de bataille, c’est… euh… comment dire…

Pourtant, il y avait une telle demande de la part des personnes riches, qui avaient les moyens de payer une fortune pour se refaire un sourire décent, que des gens sans scrupules se sont rués sur l’occasion, fournissant pendant un bon moment le « marché aux dents » (oui, je sais, dit comme ça, ça fait bizarre…).

Dentier de porcelaine et argent du XIXème siècle (années 1860, États-Unis), réalisé selon la technique de Claudius Ash
Dentier de porcelaine et argent (années 1860, États-Unis), réalisé selon la technique de Claudius Ash

Dieu merci, ça n’a pas empêché les prothèses dentaires de continuer à évoluer, en explorant d’autres solutions. À partir des années 1820/30, un certain Claudius Ash, orfèvre de son état, a commencé à réaliser des dentiers faits de dents de porcelaine montées sur une platine d’or ou d’argent. Avec le temps, il a perfectionné sa technique, qui s’est répandue.

Ça a sûrement contribué au fait que la demande de dents humaines a commencé à baisser à partir du milieu du XIXème. Ça, et la morale religieuse de l’époque victorienne, qui devait certainement regarder d’un mauvais oeil le fait de s’approprier les dents d’un mort.

Cela dit, l’appellation « dents de Waterloo » est restée pour désigner l’ensemble des dents destinées à confectionner des prothèses et prélevées sur des soldats morts au combats.



29/05/2022